18
L'exposition
L’équipe de MEL est fière d’avoir présenté le projet 18 exposé du 13 au 15 juin 2025 à la Galerie M.
Ce travail artistique qui réunit poésie et photographie, aborde la rencontre des artistes avec
le quartier du 18ème arrondissement de Paris. Du rond-point de la place de Clichy au pont de La Chapelle, à travers les rues Pigalle jusqu'à la lisière de Barbès.
Le projet
Berceau de ce projet, c'est le métro qui conduisait Myriam et Victor qui les a d'abord
inspirés; son de battement mécanique, lentes pérégrinations, attentes, croisées furtives et hermétiques de chemins et de chaussées.
Ils ont retrouvé dans ce 18ème hostile et tapageur, bardé de latex, de suie et de verre, ces sensations contrastées de l'ennui, du mouvement, de l'agacement et du songe.
Ce quartier connu pour ses strip-clubs, son ciné X ou ses rues grouillantes, les a séduit.
Accompagnés par Davood, Inès, Nastaran, Youssef, Théo et Feed, ils ont pris le métro
et passé la journée à Barbès.
Ils se sont imprégnés des parfums de menthe, du plastique, de la chaleur et de l'hospitalité dans ses cafés, ses montagnes de dattes et le tumulte de
ses habitants.
A la tombée de la nuit, ils se sont engouffrés dans les arcades du Pigalle et de sa luxure étrangement humaine, sympathisant avec le vigile du ciné X et le rabatteur du strip-
club.
Au petit matin, étourdis et repus, ils se sont entassés dans une voiture étroite où
un chauffeur uber familier les aramenés chez eux .
L'idée de cette exposition est de cristalliser l'ambiance singulière de ce quartier, qui, de nuit comme de jour, est pétri de contradictions. Souvent obscène et outrancier, il découvre ses passantes, étourdit les promeneurs et effraye les timides. Pourtant, si on l'apprivoise, sa douceur se contemple dans ses cigarettes partagées, ses fumets de barbecues
clandestins, son ciel à la tombée de la nuit. Le 18ème est à la croisée du moderne et du pudique, entre la convoitise et la braderie des corps dans le climat chaleureux, presque familial de la rue.
© Myriam Mahfoudi Grunspan
⚠️ Écoutez les interprétations musicales des poésies en cliquant sur le titre de chacune d’entre elles.
Sinon retrouvez la playlist de l’exposition sur ce lien.
"Il n'y a pas de meilleur endroit que le métro pour haïr l'humanité.",
"Si je perdais ma bibliothèque, j'aurais toujours le métro.
Un billet le matin, un billet le soir et je lirais les visages"
Sur un long quai graphite, sous un grand auvent vaseux, sans échange, sans transport,
sans communication, on rencontre une foule qui attend, interdite.
Le grondement de l'attendu la tire de sa verticale somnolence, elle s'agite,
Se hisse dans la carriole des rails pour le parisien transit.
Ceux-là s'enferment avec langueur dans leurs écouteurs
Indolents tournent les pages de leur livre, nonchalants
Les autres perdent leurs yeux dans les entretoises ou indécemment grivois, se toisent.
Mais tous aspirent au silence ;
Que la monotonie des stations, une main tendue ou un accordéon se désaccordent à rompre.
Sur la 13 à 6 heures se meut la nouvelle colonie des cols bleus
Sur la 9 à 8 heures, immortels cols blancs vers un cachet juteux
Révèlent ce qui se passe en dehors, pôle de métropole
Le métro, carreau par le monde sur lequel il gondole.
La grâce encrassée de la machinerie grinçante,
De la poésie mécanique, d'une réverbération grésillante.
Métro, temple urbain et hâtif
O ù les fidèles se replient et se retrouvent
Affronter le quotidien, célébrer le miracle électoral ou sportif
Navigo louvoyant dans les citadines douves.
Il a cette carnation singulière, ce teint de notre temps
Il a cette coloration individuelle qui embrasse le collectif.
Où la promiscuité avec l'autre est acceptée un instant
D'imperméables intimités se mêlent dans un voyage fugitif.
Premier rouage de la vie parisienne, il en permet l'échappée de Barbès à Vincennes,
Château Landon, landau qui berce jusqu'à Châtillon.
© Myriam Mahfoudi Grunspan
L'appropriation du lieu public
On hèle les elles, poules et crevettes battant le pavé grouillant,
On les décortique et les dénude avant qu'elles ne se dérobent aux regards.
Ces filles qui seront bientôt des chiennes qu'on alpague en sifflant
Qui traçant leur chemin, abandonnent les immobiles aux yeux hagards.
Pourtant, elles ne fuient pas; elles ne nous ont sans doute pas vus
Flâneurs des trottoirs, résidents de l'asphalte et musardes des rues
Qui, lorsque qu'elles courent et arpentent le quartier, prennent alors le pas sur les hommes,
Ces affamés dans une pâtisserie, devant le plus merveilleux des babas au rhum.
A défaut d'accaparer leur attention même pour un court instant,
Ils retournent occuper leur boulevard, le leur depuis longtemps ;
Respirer l'air teinté par le goudron des cigarettes et le beurre de maïs grillé,
L'air chahuté par la clameur des marchands et le ronron des cancaniers.
Dans les bouches de métro, les bornes à vélo, sous le pont ou dans les cafés,
On s'assoit pour y boire le kawa, le bissap ou la canette du kebab d'à côté.
On contemple la nature morte familière de cette fourmilière qui grouille,
Les étals de figues et broches bouchères supportant d'alléchantes gargouilles.
Murs de bricks, bestels et kesras pour seules parois
Remparts engageants de gombo, manioc, de figues et de pois
Bars à Barbès où siègent les cohortes d'hommes,
Allèchent, apprivoisent et repoussent, cacophonique capharnaüm.
© Myriam Mahfoudi Grunspan
La caille et le chasseur
"Elle portait sur son visage l'indéfinissable charme de la fragilité"
Encapuchonné et gouailleur, le rabatteur rôde
Dans le froid, par la brume, sous la pluie, protégé de la nuit.
Pourtant, il préfèrera qu'on l'appelle le cueilleur,
Le glâneur de roses qui fleurissent sur le trottoir,
Le fleuriste d'ancolies, le vendeur de pauvres fleurs,
Qu'il prendra plaisir à brader une fois que tombe le soir.
Chasseur au fond, il guette la coquette, la tourterelle qui retourne à son nid
La poulette aux longues guiboles à l'air nigaude ;
Celle qui déambule sourire aux lèvres, flâneuse sur la montée d'André
L'impavide, dinde ou provocante sous les lumières éloquentes
Cette bécasse effrontée amenée par celui qui l'a débauchée
Avant d'être déplumée par des pattes galantes.
Avant qu'elle ne s'envole à tire d'ailes, en appelle à son âme de pie
L'enjôleur qui lui fait miroiter ces bénéfices impies
Au simple prix d'une fugace vente de chair
Dont le souvenir s'efface après le passage au karcher.
Au petit matin engluées sur leurs échasses,
Ces oiselles qui se vivent libres de corps et d'esprit
Flétries de la concupiscence, du tabac et de vinasse
Rentrent en titubant dans leur logis.
© Myriam Mahfoudi Grunspan
Le rouleur de clopes
Lotfi
"Je roule déjà 200 kilomètres par jour et tu veux que je roule encore?"
Ce n'est pas souvent qu'il parle comme ça à ses clients.
Ceux de la deuxième partie de nuit, chats admirablement gris
Pétés de thune, de musique, de beuh, bêtes à beuverie
Barbouillés et blottis de banquette dans un brumeux inconscient.
Mais elle, elle est bien réveillée.
Ses yeux et ses dents qui brillent dans le rétro,
Ses mains qui s'agitent quand elle parle, un peu délurée
Feu follet ardent des services ternes des taxis parigots.
Ils discutent du conflit et de son retentissement sur Paris,
De technologie, de justice, d'amour et de l'Algérie
Il lui offre des amandes humides et lui conseille d'arrêter de fumer
Elle rit encore et l'écoute parler.
Elle lui fait penser à cette fille qu'il a connu quand il avait 20 ans,
Pour laquelle il avait arrêté de rouler sticks et garos
Et à sa fille à lui, qui désormais libérée du paternel carcan
A déserté le domicile, laissant le patriarche sur le carreau.
Et c'est là, c'est à ce moment de l'échange
C'est maintenant qu'ils se sentent spéciaux, même si c'est étrange
C'est cette familiarité filiale, cette croisée d'attaches passées ou illusoires
Qui conduisent cette fille et ce monsieur à partager une énième cigarette, pour mémoire.
© Myriam Mahfoudi Grunspan
Taïna